Au coeur des ténébres.

Thomas H. Cook n'a pas fini de nous parler des liens filiaux, des secrets de familles et des drames, intimes ou non, que cela engendre. Comme le poète et philosophe Emerson, il sait que " le passé agit comme un cadavre monstrueux dont on ne parvient pas à se détacher, qui empêche de progresser et d'envisager toute nouvelle initiative". On se souvient des magnifiques "feuilles mortes", à la Série Noire. Dans "les leçons du mal", il transcende ce thème, avec le même talent de narration, avec la même musicalité dans les mots.
Jack Branch, héritier d'une famille riche de Lakeland, Mississipi, raconte un moment de sa vie, pour, peut être, une fois pour toute, "enlever la poussière des torts irréparables".
 A 25 ans, englué dans ses contradictions, il est prof et a proposé à son lycée, un cours de rattrapage ayant pour thème le mal, le mal absolu qui rôde dans l'histoire des humains, dans  la littérature, l'art. Au fur et à mesure qu'il égrène les victimes et les bourreaux, nous découvrons ses élèves et leur environnement. Jusqu'au jour où l'une de ses étudiantes, Sheila, disparait. Il n'en faut pas plus pour qu'Eddie, fils d'un assassin, que Jack Branch s'est donné pour mission de sauver de son lourd héritage, ne soit soupçonné et stigmatisé. Les tensions montent, l'atmosphère est de plus en plus lourde.
Jack tente, plus que jamais d'agir pour le bien, mais la vie lui rappelle constamment qu'on ne peut savoir toujours la portée de ses choix, de ses actes…
Astuce magnifique et diabolique, avec un rien de sadisme littéraire,  Thomas H. Cook intercale  dans les souvenirs de Jack les minutes d'un procès mais, jusqu'aux dernières pages, nous ne serons, qui, de tous les protagonistes qui entourent le narrateur, vont être la victime et son agresseur. Le lecteur peut ainsi, à loisir, échafauder la suite de l'histoire dont l'écrivain américain nous raconte pourtant bien des détails. Mais il sera bluffé par le final, il y avait d'ailleurs bien longtemps qu'une chute de roman noir n'ait été  aussi réussie!
Autre habileté narrative, cette mise en abîme du thème, les différents aspects du mal que vit à la fois son personnage dans la réalité mais aussi dans la fiction des cours qu'il dispense à des adolescents.
  L'écrivain a pris le tempo qui sied aux Etats du Sud, au  Delta du Mississipi, lent, poisseux," bluesy" pour nous décrire les lieux, les habitants et leurs destins, marqués à jamais par la guerre de sécession encore très présente dans les esprits. Le fleuve s'écoule impassible mais il est des tempêtes humaines dont les flots emportent à jamais quiétude et sérénité. Sans oublier l'innocence de l'enfance. Un livre qui bouleverse et nous émeut, sans jamais tomber dans la facilité d'une dramaturgie complaisante et gluante de bons sentiments. Juste l'humain face à ses histoires, son Histoire.
Il n'en faut pas plus pour faire un grand roman noir. Thomas H. Cook l'a très bien compris et sait comme nul autre nous le raconter.

Corinne Naidet