Le coup de coeur du printemps 2011

     

thcMarin Ledun à Vienne

 

les visages écrasés"Le roman noir est un miroir que l'on promène le long du chemin."Stendhal m'excuserait certainement d'avoir ajouté "noir" à cette citation célèbre s'il avait lu "visages écrasés", tant cette phrase sied parfaitement à ce roman.
La narratrice, Carole Matthieu, médecin du travail dans une "plate forme téléphonique" vient de tuer Vincent Fournier, un de ses patients au bout du rouleau. On pourrait parler ici, ainsi qu'on l'a évoqué pour le cas du philosophe Louis  Althusser (que Carole lit et cite régulièrement!) d'un "homicide altruiste" tant il semblait au docteur Matthieu que ce geste était la seule chose qui pourrait aider Vincent. Cet employé, comme tant d'autres est au bord de la dépression. Cadences de travail, exigences des chefaillons, vexations et humiliations sont le quotidien des agents et la toubib n'est pas exempte des brimades. Surtout, elle est le réceptacle impuissant des souffrances d'autrui.
Bourrée d'anxiolytiques, de calmants et d'antidépresseurs, Carole Matthieu va tenter de montrer les tortures morales auxquelles elle et les autres employés de l'entreprise ont été soumis ces dernières années, au point de n'avoir que la mort comme unique issue. Infligée à soi même. Ou aux autres. Jusqu'au bout de la nuit et de la folie.
Exagération d'écrivain en mal de sujet?
Coïncidence funeste, au moment où je lisais ce livre, un nouvel employé de France Télécom mettait fin à ses jours dans le parking de sa société…
Souvent les auteurs de romans noirs mêlent fiction et réalité pour rendre compte du monde dans lequel nous vivons, de cette société où les bénéfices sont générés au détriment de la dignité humaine.
La narration de Marin Ledun est implacable et impeccable. Toute en froideur et presque technique – le récit est entrecoupé de lettres d'expert au vocabulaire très scientifique mais totalement efficace - elle nous entraine et nous enchaine dans les pensées de Carole Matthieu, au plus profond de son désespoir. Petit à petit, le rythme s'accélère, les phrases suivent les circonvolutions du cerveau enfiévré du médecin. Nous tombons avec elle et le suspense qui sied à tout bon roman noir est parfaitement entretenu par l'auteur qui tient une tension au fil des mots, des phrases: un modèle du genre!
D'aucuns ont peut être pris l'habitude des ces drames énoncés avec de plus en plus d'indifférence par les médias, cet excellent roman noir sera un petit détonateur qui réveillera nos consciences par trop muettes.

Et puisque nous avons cité un auteur du XIXeme pour débuter ce coup de cœur nous terminerons avec Flaubert: "folie pour folie prenons les plus nobles". Marin Ledun n'a pas choisi la folie de Carole Matthieu, elle lui était imposée par la société actuelle. Mais quelle façon magistrale d'en parler!

Corinne Naidet          precedent coup de coeur     haut de la page suivant

 




 
 
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